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Rencontres d’octobre | Les retours

Les 20, 21 et 22 octobre, à l’occasion du lancement du « Diagnostic croisé de santé territoriale du bassin lémanique et du Rhône », pas moins de 350 personnes étaient présentes au Collège André-Chavanne à Genève. Les interventions courtes et croisées des invités, ont permis de dessiner non seulement les contours de ce dialogue entre les « connaissances » des Kogis et nos savoirs scientifiques, mais aussi d’en éclairer l’intérêt et les enjeux.

Depuis la Sierra Nevada de Santa Marta, une invitation au dialogue du peuple Kogi…

Le mercredi 20 octobre 2021, la soirée est ouverte par Arregoces Conchacala Zalabata, gouverneur du peuple Kogi et principal interlocuteur de l’association Tchendukua – Ici et Ailleurs. Accompagné de plusieurs mamas (autorités traditionnelles) il est intervenu en direct depuis les contreforts de la Sierra Nevada de Santa Marta, afin de préciser l’intérêt pour lui et sa communauté d’ouvrir un dialogue avec les Occidentaux :

« Nous souhaiterions pouvoir dialoguer sur deux choses : d’abord, sur le monde et la nature, ce que c’est et comment ensemble allons-nous la protéger ? Plus largement, nous souhaiterions aussi échanger sur les formes vivantes qui apparaissent dans un territoire et qui pour nous sont aussi en « Aluna », l’esprit des choses et des phénomènes. Dans notre langue il y a un mot « Gwenuhe » qui désigne tout ce qu’il y a sur un territoire mais qui n’est pas forcément visible. On ne les voit pas, mais elles sont là, comme les énergies qui font que les choses se déplacent, que les phénomènes se passent, on aimerait aussi échanger avec vous là-dessus.

On pourrait aussi parler de la loi.  Qu’est-ce que la loi pour vous ? Pour les Kogis, pour nous, les lois s’inscrivent dans le territoire ancestral et portent une dimension spirituelle, c’est l’âme de la vie, et cela va bien au-delà de la science (…). Chacune de nous, devrait réinvestir la nature, réintroduire la nature dans nos pensées et prendre plus soin de la terre, de l’eau, de ce que l’on utilise. Tout ce que l’on mange, tout ce que l’on pense, tout ce qui se passe en nous est rejeté hors de nous, dans la « nature ». Si on a des idées ou des pensées négatives, elles se retrouvent dans la nature. On aimerait bien pouvoir élargir ce dialogue avec les universités, les entreprises, pour réfléchir ensemble aux les formes de protection de la nature. Enfin, avant que vous ne démarriez vos travaux, je voulais vous rappeler que le nom de l’association « Tchendukua », désigne des énergies de la terre quand elle essaye de rétablir l’équilibre, glissements de terrain, ouragans ou « les tremblements de terres ». Le message que nous essayons de vous faire passer c’est comme un « tremblement » pour rééquilibrer les choses et travailler ensemble en faveur des générations futures ». 

…avec les scientifiques, les Universités, les entreprises…

A l’issu de ces propos introductifs, deux tables rondes ont permis de résonner aux propos du gouverneur Kogis et d’ouvrir des premières perspectives de dialogue.

La première table ronde réunissait, Sophie Swaton économiste et philosophe, René Longet spécialiste du développement durable, l’industriel Gunter Pauli, et l’homme politique et essayiste Philippe Roch. La seconde a mis en avant les premiers résultats issus du diagnostic croisé de santé territoriale réalisé dans la Drôme en septembre 2018. Elle réunissait les naturalistes Béatrice Kremer-Cochet et Gilles Cochet, Denis Chartier géographe, Béatrice Milbert médecin, Ana-María Lozano anthropologue. La qualité des interventions, orchestrées par Geneviève Morand, Présidente d’honneur de Tchendukua Suisse, a donné lieu à de belles résonances, riches de perspectives enthousiasmantes.

Sophie Swaton est venue interroger nos manières d’apprendre et de connaître. Invitant l’esprit de l’enfant, le corps et les ressentis dans nos apprentissages :

 « Peut-être qu’il n’y a pas qu’une seule manière d’apprendre ? On peut être dans une approche plus globale. On n’est pas dans une approche mécaniste de la nature, où la nature est comme un stock de ressources, un substrat uniquement matériel, pour rentabiliser le capital (…) Les Kogis et d’autres savent sur la manière dont la nature peut nous apprendre. Cela pose le point de la transmission des connaissances. Comment pouvons-nous savoir que la nature sait ? Dans ce projet, la pluralité des acteurs qui intervient me touche beaucoup. Je pense que la transmission passe par une incarnation à la fois sur un territoire, spatialisé, et comment on l’incarne dans notre propre ressenti. Des mots forts, vibrants, ont été évoqués ce soir tels que, « ressentis spirituels », « revivifier le chemin en soi », « harmonie », « eau », « mont blanc sacré et sites sacrés », « esprits », « cosmos », « Taironas », « transition dans l’art de vivre », « se réinventer face à une force agressive », « les arbres parlent ». On peut réellement trouver un dialogue entre la magie de l’enfance et les connaissances scientifiques les plus poussées. » 

René Longet a poursuivi en rappelant la nécessité de ce type de dialogue entre perception holistique et perception analytique. Un dialogue qui, d’après lui, pourrait réveiller nos propres savoirs ancestraux et ouvrir la voie à un renouvellement de notre regard  : « Ce dialogue, entre la perception holistique et l’approche analytique, qui a eu lieu dans la Drôme voici trois ans et qui va se répéter désormais concernant le fleuve mythique qu’est le Rhône, est hautement nécessaire. Il va jeter un pont entre ces deux modes de connaissance, qui finalement arrivent aux mêmes constats. Et à travers ce pont, un autre pont encore va pouvoir se jeter, celui vers ce vieux savoir ancestral qui sommeille en nous, qui sommeille dans les territoires, cette antique perception holistique que nous n’aurions jamais dû quitter et qui a failli être éradiquée entre procès de sorcellerie et modernité désincarnée à l’extrême. Grâce à ce dialogue nous allons donc pouvoir renouveler notre regard, réactiver ce trésor caché en nous-mêmes pour que nous retrouvions le chemin de la vie, des équilibres viables entre l’humain et la nature, entre les humains et au sein de nous-mêmes. Car le déséquilibre du monde n’est que le reflet de nos propres déséquilibres. Si nous rejetons la nature, elle nous rejettera et elle aura bien raison. »

Bernard Debarbieux, professeur et doyen des Sciences de la Société à l’Université de Genève et membre du conseil scientifique a conclu cette soirée en rappelant à quel point il convenait d’être vigilant et de ne pas imposer à « l’autre » nos propres schémas de pensées  : « J’ai le sentiment qu’il y a une très forte curiosité pour la diversité culturelle, ici appliquée au cas des populations Kogis (…) cela fait un moment que l’on parle du dialogue des cultures, on n’a pas arrêté de décliner cette invitation, cette urgence. Avec le temps, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas beaucoup dialogue. D’abord, ce ne sont pas les cultures qui dialoguent, mais les humains. J’ai un peu peur de ce type de mot si nous ne sommes pas capables d’être clair avec l’idée de dialogue. Quelles que soient les bonnes intentions, ça ne suffit pas pour dénouer les immenses difficultés qu’il y a dans le dialogue des cultures. J’ai envie de vous citer un auteur :

« Décoloniser les savoirs, les arts ou la pensée, c’est s’efforcer d’écouter, de regarder et de voir le réel à partir de plusieurs mondes et foyers à la fois ». Achille Mbembe 

Ce n’est pas simplement s’ouvrir à l’autre mais c’est prendre conscience que dans toute interaction potentiellement nous sommes des impérialistes. Y compris dans la curiosité à l’égard de l’autre. Nous devrons être extrêmement attentifs à notre façon de nous intéresser à l’autre sans imposer son schéma de pensée, quand bien même on serait ouvert à la vision de l’autre. L’autre terme que je souhaitais aborder, c’est “connaître”. Connaître pour Mbembe, c’est co-naître. Naître ensemble. Il nous invite à être extrêmement symétrique. »

La soirée a mobilisée près de quinze chercheur.se.s, professeur.e.s et maîtres et maîtresses de conférence de France, d’Angleterre et de Suisse, toutes et tous motivé.e.s par les bouleversements du monde et la nécessité de co-construire un dialogue qui élargisse notre regard. Les deux jours d’ateliers transversaux qui ont suivi ont permis d’aller plus loin, afin non seulement d’identifier des points de résonances féconds entre disciples chimie, archéologie, physiologie, avec la culture des autochtones Kogis mais aussi et surtout, de créer ces relations, cette confiance, sans lesquelles aucun dialogue n’est possible. – « Ou comment ensemble réintégrer le monde et la nature dans nos pensées » nous rappellera Eric Julien.

Retrouver la soirée d’ouverture sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=_Q8FH0DeZ7Q

Deux jours d’ateliers transversaux, réunissant scientifiques et représentant.e.s de la société civile

Les 21 et 22 octobre dans les magnifiques locaux de la Fondation Brocher que nous tenons à remercier vivement, environ 50 scientifiques et représentant.e.s de la société civile se sont retrouvés autour de plusieurs objectifs :

Mieux comprendre le contexte et les enjeux de ce projet de dialogue, y compris ses risques et ses limites.
Approfondir notre compréhension et appréhension de la culture des Kogis et du contexte historique, géographique et social dans lequel il s’inscrit.
Explorer quelques points de résonances possibles entre la culture traditionnelle Kogi et notre culture scientifique, autour desquels pourrait s’organiser le dialogue croisé du Rhône et du bassin lémanique.

Territoire et son, territoire et couleur, territoire et eau, territoire et « rayonnement », territoire et mouvement/spirale, territoire et santé, territoires et « pierres », biodiversité, font partie des explorations qui ont été menées afin de commencer à « faire équipe » et poser les bases du futur « diagnostic croisé de santé territoriale du Rhône et du bassin lémanique ».

A l’image des pratiques d’Alexander von Humboldt (Friedrich Karl, Wilhelm, Heinrich Alexander, baron von Humboldt, naturaliste, géographe et explorateur 1769-1859) considéré comme l’un des derniers savants aux connaissances encyclopédiques, précurseur de l’écologie, il s’agissait de faire discuter les scientifiques entre eux, et avec la société civile, les faire échanger par petits groupes afin que se tissent des liens personnels, des amitiés qui favorisent rencontres et collaborations plus étroites.

« Sans diversité d’opinions, la découverte de la vérité est impossible. »

Andréa Wulf, L’invention de la nature, Les aventures d’Alexander Humboldt, Editions Noir sur Blanc, 2017.

Les suites de ces rencontres et les perspectives passionnantes qu’elles ont ouvertes, vous seront partagées au plus vite.

A l’issu de ces deux jours, nous avons écouté le message d’Arregocés Conchacala Zalabata, Gouverneur Kogi, message que nous avons plaisir à vous partager : https://youtu.be/eNDEJz74lT8

« Nous avons confiance dans le fait que, si nous partageons les connaissances que nous avons reçues de nos lointains ancêtres, nous pourrons ensemble trouver un chemin qui, au-delà de nos différences, permettra de préserver l’harmonie du monde et de tous ses habitants. Comme Kogis, c’est un pont que nous voudrions tendre vers vous pour le dialogue et la compréhension commune. » OGT, Resguardo Arhuaco de la Sierra, José de Los Santos Sauna, Yanelia Mestre Pacheco, Peter Rawitscher et les Mamas (œuvre collective), Shikwakala, el crujido de la madre tierra, 2018.

Cette conférence de lancement ouverte par M. Roland Jeannet principal du Collège André-Chavanne, et Jean-Jacques Liengme, Président de Tchendukua Suisse et les deux jours de rencontres qui ont suivi se sont avérés passionnants et enthousiasmants.

Merci à Michael Leze (Ezel vidéo prod), dont l’œil et le talent ont permis de garder la mémoire de ces rencontres. Ces quelques images vous donneront un aperçu de l’ambiance et de la richesse des échanges : https://youtu.be/QtSd74Jknv0. 

Un grand merci à toutes celles et tous ceux qui ont rendu le premier pas de ce dialogue possible et fructueux, tous les bénévoles qui se sont mobilisés, Eléonore Hirooka, Jean-Jacques Liengme, Corine Fleury, Geneviève Morand et toutes les équipes de Tchendukua, Marie-Hélène Straus, Marie Mainfroy, Valérie Ader, Pauline Thiériot, Lise Fabbro, Jacqueline Bac. Merci pour vos contributions, votre présence et enthousiasme. Et merci d’ouvrir le chemin pour ZIGAKUI KAGI (soigner la terre dans la langue vernaculaire des Kogis). 

Propos recueillis par Lise Fabbro

L’équipe opérationnelle de Tchendukua – Ici et Ailleurs

Photos © Tchendukua ; Aurélie Debusschère

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