Préservation d’une culture
Une culture est un regard sur le monde auquel est associée une « praxis », une manière d’être et d’agir. Celle des sociétés « racines » intègre la vie et la nature, ce qui n’est pas ou plus le cas pour les sociétés « modernes » qui ont développé une culture urbaine et « hors sol ». De fait, contribuer à la préservation de la culture kogi, ce n’est pas seulement aider les Kogis à rester Kogis sur des terres Kogis mais aussi tenter d’ouvrir un dialogue créatif et respectueux entre notre modernité mortifère et la tradition encore vivante des sociétés racines dont les Kogis. Il ne s’agit pas de devenir « kogis » et de faire « comme », mais d’avoir l’audace du dialogue, afin de trouver les voies d’une nouvelle alliance avec cette nature qui nous porte et nous fait vivre.
Projet ISUN TUTU (tisser mochila)
Tchendukua appuie la pratique du tissage, élément central de la culture des peuples de la Sierra Nevada de Santa Marta. C’est en 2018 que cette activité a démarré, grâce au soutien de la fondation belge Emergences et en partenariat avec l’association de femmes Arhuacas ASOWAKAMU. Par le biais d’une activité en apparence anodine, le tissage, les femmes revisitent et se transmettent l’essence de leur culture, dans ses dimensions spirituelles, territoriales et sociales. Une approche globale, incarnée, qui interroge nos sociétés modernes.
Le tissage, symbole du lien et des relations qui unissent chaque chose, chaque phénomène, est central dans le système de pensée des Kogis. On tisse ses vêtements, ses mochilas, ses sacs de charge, ses cordes, jusqu’aux cartes « d’état-major » kogis, comme on tisse sa vie en associant le maîtrisable et le surgissement, l’ombre et la lumière. Le tissage incarné dans un vêtement ou un sac devient le reflet symbolique de la « vie spirituelle » intérieure de chaque membre de la communauté comme de l’ensemble de la communauté. Les Kogis portent sur eux la qualité de la vie qu’ils sont individuellement et collectivement capable de se donner.
Tisser, c’est penser, c’est un moment d’introspection profonde et de recherche d’harmonie avec ce qui « est ». Si ces connaissances ancestrales venaient à se perdre, une grande partie de la philosophie de vie des Kogis risquerait de disparaître. Le tissage concerne à la fois les hommes et les femmes. Les femmes tissent pour leur mari des petits sacs qui sont symboles de vie, de fertilité et d’union, avec des couleurs différentes qui représentent les natures de « terres », associées aux différentes lignées et familles d’origine. Les hommes construisent les métiers à tisser et filent le coton.
École d’agriculture « traditionnelle »
Tchendukua soutient dans le projet d’Ecole d’agriculture traditionnelle qui se met peu à peu en place au cœur de la vallée de Mendihuaca. Reprendre « possession » de terres, comme c’est le cas des familles kogis qui se réinstallent dans la vallée de Mendihuaca, nécessite de reprendre contact avec « l’esprit des lieux » puis de former et accompagner les plus jeunes Kogis aux pratiques spirituelles et agricoles spécifiques de ces nouvelles terres. Cette « école » a aussi vocation à être un lieu d’échanges pédagogiques avec d’autres approches agricoles, dans un souci de partage et d’ouverture des pratiques.
La relation qu’entretiennent les Kogis avec le territoire, considéré comme un « corps territorial », est de même nature que la relation qu’un soignant, médecin, psychanalyste est à même d’entretenir avec un patient. Approche « globale », points « d’acuponcture territoriale » ou Ezuamas, pour les Kogis, les territoires sont plus Pays-sages « sujet » que Paysages « objet ». Ce rapport à l’esprit des lieux entraîne un rapport à la terre et aux pratiques agricoles proche de ce que nous nommons dans nos sociétés modernes « la permaculture.
Restitution d’objets traditionnels rituels
A la demande des mamas, Tchendukua s’efforce de retrouver des objets traditionnels rituels, afin de les restituer aux autorités spirituelles de la Sierra qui en ont besoin pour leurs cérémonies.
Dans les sociétés « traditionnelles », dont font partie les Kogis, les objets sont souvent des véhicules symboliques, supports d’énergies, de pratiques spirituelles, notamment divinatoires, de soin ou de préparation de cérémonies bien précises. Ces objets et leurs usages représentent une forme de « langage » qui les relie au monde subtil de « Sé », qui précède les formes et les choses. De fait, ils ne peuvent être dissociés de ceux ou celles qui, dans un schéma complexe de relations et d’interprétation, savent encore les utiliser, les mamas et les Sagas, gardiens de l’équilibre du monde.
En Tumbaya (mélange d’or et de cuivre), céramique, ces objets ont fait depuis l’arrivée des conquistadores l’objet de pillages systématiques qui n’ont plus cessé et se poursuivent encore de nos jours. Dans les années 70-80, les « guaquejos », les pilleurs de tombes, étaient officiellement répertoriés et autorisés par l’administration colombienne à éventrer des centaines de tombes précolombiennes, dont les vestiges, réels ou imaginaires, faisaient rêver les colons habitants des contreforts de la Sierra. Armés d’une paire de bottes, d’un sac de jute, d’une machette, d’une barre de fer (pour rechercher les tombes), d’une pioche et de quelques vivres, ils s’enfonçaient dans la forêt profonde et bruissante, à la recherche de l’or perdu des Tayronas. En quelques années, des trésors fabuleux ont été mis à jour, des fortunes se sont érigées en quelques jours, avec les cortèges de meurtres, règlements de comptes, disparitions, qu’accompagne la « folie » de l’or, ce même or qui est utilisé pour « soigner la terre », car l’or est un symbole de haute spiritualité pour les Kogis.